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Introduction au soufisme
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Dans une ère où la discorde est vécue sous toutes les formes, il suffit de regarder au loin pour s’apercevoir que tout est harmonie malgré les apparences. Ce regard n’est pas une fuite en avant, ni une attitude hautaine. Ce regard, présent au monde, est un élan de l’Homme vers les choses éternelles. La mystique nous invite à cet élan.

L’élan mystique 

La mystique est un désir. C’est le désir de l’homme d’aller à la rencontre de ce qui est essentiel en lui. Cette part essentielle est pétrie dans la constitution profonde de l’être humain. Elle relève, comme le laisse entendre le sens du mot mystique, du monde invisible et des choses cachées. Si l' »essentiel est invisible pour les yeux », comme on l’a souvent entendu dire, c’est parce qu’il est sacré, éternel, ineffable. Transporté par son désir, le mystique va cheminer à travers l’espace sacré de son intériorité. Chemin faisant, il va apprendre à voir ce qui est essentiel non seulement en lui-même, mais aussi dans toutes les créatures de l’univers. Envahi par la présence du sacré dans le monde, son individualité s’évanouit. C’est la rencontre ultime du mystique avec cette parcelle de l’éternel en lui. On retrouve ce désir de l’union de l’Homme avec le sacré dans les textes les plus anciens de l’humanité. Déjà, dans le livre des morts de l’ancienne Egypte (XXIVe-XVIIe siècle av. J.-C.) apparait clairement cet élan de l’Homme spirituel: « Il n’est aucune part en moi qui du Divin soit séparée » . On peut se risquer dans les dédales des événements pour faire de la mystique une histoire, mais est-ce là l’essentiel? La subtilité du regard synthétique de la mystique me parait plus appropriée pour parler de cette expérience purement humaine. L’acclamation de l’union de l’homme avec l’absolu traverse, tel un « frisson sacré », l’histoire de l’humanité. L’expérience des hommes de vérité ponctue, et ce, jusqu’à nos jours, la marche du monde spirituel. Ces hommes, étoiles dans le firmament du monde invisible, seront des points de repère pour les assoiffés de spiritualité. Ces hommes, prophètes ou saints, vont contribuer, selon leurs degrés, à cette grande marche. Il suffira d’une vie pleinement réalisée pour que le cours de l’histoire soit bouleversé. Chaque vie est particulière à celui qui l’aura vécu. Chaque sagesse, livre sacré, ou religion, est particulier à celui qui l’aura transmis. La réalité incolore de la lumière divine, au contact du réceptacle humain, va prendre les couleurs propres à ce dernier. Ainsi, l’effusion sacrée se colore, de même qu’une eau pure prend la couleur du vase qu’il l’a recueille. Chaque religion, chaque enseignement spirituel possède une dimension mystique qui est prête à élever celui qui lui est attentif. On va retrouver ce niveau de conscience dans des traditions religieuses aussi diverses que celles du taoïsme, de l’hindouisme, du soufisme, du judaïsme ou du christianisme. Afin d’éviter les écueils des particularités qui sont souvent sources de discordes entre les hommes, contentons nous sur ce qui pourrait plutôt les rapprocher. La mystique, en tant que tel, est déjà un lieu de rencontre possible entre les différentes traditions du monde. Sans tomber dans l’autre extrême, à savoir le syncrétisme, il est possible de trouver des éléments communs qui seront autant de ponts entre les différentes expériences mystiques.

La magie du conte 

A l’écoute du silence intérieur, le mystique parle généralement peu. Lorsqu’il parle, c’est pour inviter notre conscience à la réalité spirituelle. La parabole, sous forme de conte, est son langage préféré car en quelques signes, il dit tout. Écoutons Jalal-od-Din-Rûmî, un des grands maîtres du soufisme: Rûmî raconte que trois voyageurs cheminaient ensemble et qu’ils avaient faim. On leur avait donné quelques petites pièces d’argent. Ils se demandèrent ce qu’ils pouvaient acheter de mieux pour étancher leur soif et manger quelque peu. Ils pensèrent tous trois aux raisins. L’un dit qu’il voulait acheter de l’uzum – raisin en turc -un autre de l’israfil – raisin en grec – et le troisième de l’inab – raisin en arabe -. Ils en arrivèrent à se disputer: « non, je veux acheter cela, et rien d’autre ».Un voyageur qui passait leur demanda: »Enfin, qu’est ce qu’il vous arrive? ». L’un d’entre eux répondit: « Je veux acheter de l’uzum, lui de l’israfil et lui de l’inab« . Ce à quoi le voyageur répondit: « Mais c’est la même chose que vous voulez acheter ! « . Cette parabole s’adresse à l’homme religieux, qui fait de son objet de culte une affaire personnelle. Limité au sens littérale des choses, ce type d’homme conçoit difficilement le caractère universel de la réalité spirituelle. Car tout compte fait, les traditions religieuses ne seraient-elles pas des fenêtres différentes ouvertes sur la même réalité? Le soleil qui brille aujourd’hui, ajoute Rûmî, n’est-il-pas le même que celui qui brillait hier?

L’intuition mystique 

La connaissance mystique est une sagesse et non une philosophie dans le sens moderne du terme. Elle perçoit le monde par le biais de l’intuition et non par celui de l’intellect. Ce regard particulier amène le mystique a sentir la présence du sacré dans toutes choses, et par conséquent, à dépasser la multiplicité du monde. Le mystique connaît, car à travers la diversité, il ne voit que les signes d’une réalité spirituelle unique. L’effet de cette connaissance apaise les coeurs assoiffés comme ce fut le cas de nos trois voyageurs. Le pèlerin qu’ils ont rencontré est un mystique qui aurait pu être Bouddha, maître Eckhart ou Lao Tseu. Écoutons Sankara, qui réaffirme avec ses propres termes, l’unicité de la réalité spirituelle: « Bien qu’il soit un, Brahman est la cause du nombreux. Il n’y a point d’autres causes. Et pourtant Brahman est indépendant de la loi de la causalité. Tel est Brahman, et « tu es cela ». Médite sur cette vérité dans le domaine de ta conscience « . Le « tu es cela » hindouiste est cette part du sacré diluée dans l’Homme. La méditation est l’effort que le chercheur de vérité doit accomplir pour retrouver ses origines spirituelles. Il devient alors, pour reprendre cette métaphore chère aux bouddhistes et aux soufis, comme la vague qui s’élève, se prosterne pour retourner dans l’immensité de la mer.

La recherche de ce qui a toujours été…

Cette expérience commence avec le choix de moyens concrets que le fidèle de l’amour va adopter afin de retrouver son centre invisible. La particularité de ce centre, c’est qu’il a toujours existé. C’est la raison pour laquelle les maîtres Zen ne cessent de répéter: « J’ai compris que je suis libre, et parfois, dès le commencement ». On retrouve chez Ibn al-Farid, poète soufi, la même conscience de l’homme éternel:  « Nous avons bu, en souvenir du Bien-Aimé, un vin dont nous nous sommes enivrés, avant que la vigne ne fût créée ». La conscience aiguë de la présence en soi de l’Éternel engage le chercheur de vérité dans un enseignement spirituel particulier. La méditation Zen, les mantras hindouistes ou le dhikr soufi serviront, selon le cas, de support à son éveil spirituel. L’expérience mystique est une saveur que le souvenir du sacré alimente. Le voyageur s’aperçoit qu’il est sa propre limite et pour accéder aux dimensions éternelles du sacré, il doit se surpasser. Autrement dit, il doit prendre à son compte la parole du Christ: « connais-toi toi même ». L’extase, le rapt, la luminosité, la danse, le ravissement vont ponctuer son parcours. Ces expressions mystiques seront autant de manifestations du débordement de l’Absolu dans les limites étroites du corps et de la psyché humaine.

Un arbre appelé mystique 

Conscient et responsable, le chercheur de vérité traverse le champ de l’expérience mystique. Il se déplace de demeure spirituelle en demeure spirituelle pour ainsi explorer l’infini variation du climat de l’Être. Muni de son courage, il avance contre les vents et marées de l’âme. Après quelques haltes radieuses, il doit se relever pour continuer sa marche. Chevalier dans le christianisme, jen dans le taoïsme, il devient le héros d’une bataille qu’il se livre lui-même. « Mourez avant de mourir », disait le Prophète de l’Islam. En effet, seule la mort de l’égo assure la victoire. Arjuna (Bhagavad Gîta) anonyme, le chercheur de vérité se libère (moksa indienne) de ses entraves psychologiques après une rencontre totale avec l’absolu.

Seules quelques rares personnes arrivent au bout de leur combat. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle ils laissent, quand ils le veulent bien, des traces indélébiles sur leur passage. « Vous les reconnaîtrez à leurs fruits » disait le Christ. Ces fruits sont les qualités divines qui émanent d’eux et qui orientent leur vie. La compassion d’une mère Teresa, l’ouverture d’esprit d’un dalaï-lamas ou la guidance de Sidi Hamza sont de ces fruits qui proviennent d’un arbre éternel appelé: mystique.

Karim Ben Driss, PhD

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Références ;

Aimé Michel, Le mysticisme, Celt, Paris, 1973, page 13.

Éva De Vitray-Meyrovitch, Le chant du soleil, La table ronde, Paris, 1993, pp. 40-41.

Aldous Huxley, La philosophie éternelle, Point, Paris, 1945,page 19.

René R. Khawan, La poésie arabe, Marabout Université, Paris, 1967, page 203.